4.1 Précision des notions
Aujourd'hui, le mot «musulman» sert à désigner les adeptes de l'islam. Toutefois, le mot «musulman» ne fut employé en français qu'au XVIe siècle; le mot «islam» ne fut attesté qu'en 1697. À l'époque de l'occupation musulmane, les mots muçulmano et Islãm n'étaient pas davantage connus en portugais (lequel n'existait pas encore), ni en castillan. C'était alors l'époque romane, d'où surgiront plus tard le castillan et le galaïco-portugais, l'ancêtre du portugais et du galicien. Les termes employés couramment pour désigner la religion de l'islam étaient, selon les langues d'aujourd'hui en français la «loi de Mahomet» ou «loi des Sarrasins»; en espagnol la "Ley de Mahoma" ou la "Ley de los Sarracenos"; en portugais la "Lei de Muhammad" ou la "Lei dos Sarracenos"). Ceux que l'on désigne comme des «musulmans» ("Muçulmanos" en portugais) étaient nommés par les termes «Maures» ou «Sarrasins» ("Mouros" ou "Sarracenos" en portugais).
En principe, le terme Maure (du latin "Mauri") servait à désigner les Berbères d'Afrique du Nord, des Africains censés venir de la Mauritanie, le «pays des Maures». Quant au mot «Berbère», il s'agit à l'origine d'un mot employé par les Romains pour nommer les «Barbares», lui-même issu du grec βάρßαρος (ou bárbaros) signifiant «étranger»; le mot sera modifié par la suite en «Berbère». À partir du VIIIe siècle, le terme «Maure» sera synonyme de toute personne pratiquant la «religion de Mahomet», ce qui désignera tout musulman (même si ce mot n'existait pas encore) vivant en Hispania, qu'elle soit d'origine berbère, arabe ou ibérique.
Il existe aussi un autre terme pour désigner les Maures: Sarrasins. Ce mot d'origine latine, "Sarraceni", servait à désigner les Arabes venant de l'Orient. D'ailleurs, en arabe, le mot "sarqîyîn" signifie «habitants du désert». Mais les habitants de l'Hispania favorisèrent "Moros" ou "Mouros", alors que les habitants du royaume de France privilégièrent «Sarrasins» (attesté seulement en 1100). Bref, les mots «Arabes», «Maures» et «Sarrasins» étaient souvent synonymes. Aujourd'hui, les termes «Maures» et «Sarrasins» ont été pratiquement oubliés, mais les Occidentaux continuent d'employer faussement comme synonymes les mots «Arabes» et «musulmans», alors que ces mots ne sont pas équivalents: d'une part, les musulmans ne sont pas tous arabophones, d'autre part, les arabophones ne sont pas tous musulmans.
Au final, lorsque, dans le cadre de cet article, les mots «musulmans» et «islam» sont employés, il faut se souvenir que ces mêmes mots n'existaient pas à l'époque de la conquête arabe en Hispania.
4.2 La Conquête musulmane
En avril 711, un contingent d'environ 12 000 soldats, pratiquement tous berbères, commandés par le gouverneur de Tanger, Tariq ibn Ziyad, débarqua à Gibraltar pour commencer la conquête des royaumes chrétiens de l'Hispania. L'invasion arabe poursuivait en principe un objectif religieux: celui de répandre la religion de l'islam en Europe, mais le pillage faisait aussi partie des «récompenses». Pour cette raison, l'antagonisme hispano-roman et arabo-musulman devint une lutte entre deux civilisations, le monde chrétien, d'une part, le monde musulman, d'autre part, les uns et les autres se traitant d'«infidèles».
Rapidement, les guerriers maures prirent Séville, Ecija et Cordoue, la capitale. Tout le Sud était acquis dès cette même année, puis vinrent la Catalogne en 712, le royaume de Valence et celui d'Aragon en 714. En 1716, dans la dernière phase de leur campagne militaire, les Maures atteignirent le nord-ouest de la péninsule, l'actuelle Galice, où ils réussirent à prendre possession des villes de Lugo (Galice) et de Gijón (Cantabrie). Les Maures s'approprièrent toute la péninsule Ibérique en moins de cinq années, sauf les îles Baléares qui résistèrent durant près de deux siècles (jusqu'en 903). L'empire des Wisigoths fut complètement anéanti par les Maures.
En 718, les Arabes franchirent les Pyrénées et envahirent le Languedoc, puis se rendirent jusqu'à Nîmes en Provence, d'où ils ramenèrent en Hispania un grand nombre de captifs. La progression arabe ne fut arrêtée qu'en 732 à Poitiers (France) par Charles Martel (vers 690-741), le souverain du royaume des Francs. Mais pendant trois cents ans, la France allait être attaquée par les Maures, qui seront appelés «Sarrasins», mot attesté pour la première fois en français en 1100. Il faudra deux siècles de guerres acharnées, des milliers de constructions détruites, des ravages et des épidémies innombrables, pour mettre fin à l'occupation musulmane en France et dans la péninsule Ibérique.
Pendant que les Maures de l'Hispania franchissaient les Pyrénées en 718, le chef wisigoth Pélage (ou "Pelayo"), réfugié avec une petite armée dans les montagnes du nord de la péninsule, fomenta une révolte contre les autorités musulmanes de Gijón (Cantabrie). Il tendit une embuscade au détachement militaire du nord de la péninsule, lequel fut décimé lors de la bataille de Covadonga en 722. Bien que cette victoire chrétienne fut avant tout symbolique, car elle n'impliquait que quelques centaines de soldats berbères, elle permit au royaume des Asturies de rester indépendant du califat de Cordoue. Pélage devint le premier roi des Asturies et fut surnommé «el Restaurador», c'est-à-dire le restaurateur, celui qui répare.
Par la suite, les Asturies demeurèrent le grand foyer de résistance chrétienne autour d'Oviedo contre la domination musulmane dans toute l'Hispania. En somme, parce que la frange nord de l'Hispania se libéra des Maures en 722, la péninsule Ibérique ne fut jamais entièrement occupée par les musulmans. Lorsque ces derniers prirent les Baléares en 903, le royaume des Asturies, comprenant alors le Pays basque, la Cantabrie, les Asturies et une partie de la Galice, était déjà indépendant. |
Les musulmans désignèrent en arabe le territoire conquis comme l'Al-Andalus, l'Espagne musulmane ("España musulmana"), qu'ils gouvernèrent durant cinq cents ans dans le cas du Portugal et huit cents ans dans le cas de l'Espagne. En 716, apparut pour la première fois sur une pièce de monnaie le terme al-Andalus, lequel donnera Andalucía en espagnol, Andaluzia en portugais et Andalousie en français. Au début de la conquête, les Arabes étaient fort peu nombreux par comparaison aux populations autochtones, car les troupes maures étaient constituées de guerriers berbères, alors que seuls les chefs et les officiers étaient arabes. Au Xe siècle, l'Al-Andalus devint un foyer de haute culture et attira un grand nombre de savants. La ville de Cordoue devint aussi la plus grande ville d'Europe, qui brilla par son essor scientifique et artistique. Les Arabes divisèrent l'Al-Andalus en un grand nombre de petits territoires nommés taïfas : taïfa d'Almeria, taïfa d'Arcos, taïfa de Badajoz, taïfa de Majorque, taïfa de Béja et d'Evora, taïfa de Cordoue, taïfa de Grenade, etc. Ces taïfas étaient généralement classées d'après l'origine ethnique de leur dirigeant, chef ou émir : il y avait des taïfas berbères, des taïfas arabes, etc. Les taïfas se faisaient fréquemment la guerre entre elles.